« J’ai toujours pensé que Grant Green était l’un des plus grands guitaristes de tous les temps depuis Charlie Christian », a déclaré un jour Elvin Jones. « Je n’ai vu personne, ni avant ni après, comparable à son talent artistique et à sa conception de la musique. »
Depuis que Charlie Christian a branché sa Gibson ES-150 pour se faire entendre au milieu du vacarme entraînant du groupe de Benny Goodman, la guitare électrique occupe une place de choix dans le jazz. De Wes Montgomery à George Benson en passant par Pat Metheny, il y a toujours eu des pionniers de la six cordes, mais rares sont les génies de la guitare qui se cachent autant que Grant Green, large d’épaules et vêtu d’un costume vert. Avec sa fidèle Gibson ES-330 à la main, Green a défini le son chaud et décontracté des sessions Blue Note au début des années 1960 et a également illustré l’orientation du label vers le funk et la soul au début des années 1970.

Né à Saint-Louis, dans le Missouri, Green a fait ses armes en écoutant les disques de Charlie Parker de son père et les morceaux de Goodman avec Christian, et a commencé à jouer professionnellement dans des groupes de gospel à l’âge de 13 ans. Lorsque le saxophoniste alto Lou Donaldson est arrivé à Saint-Louis à la fin des années 1950, il a entendu ce que Green faisait sur scène et a apprécié son habile mélange de gospel, de R&B et de bop, délivré par un solo de guitare, revenant rarement au jeu d’accords complet de ses contemporains comme Montgomery. Donaldson a embauché le jeune homme de 24 ans pour son groupe de tournée et l’a emmené à New York, où il a rapidement attiré l’attention d’Alfred Lion de Blue Note.
Grant’s First Stand (1961)
De 1961 à 1963, personne ne joua autant de concerts Blue Note que Green. Il enregistra 22 albums (dont seulement 14 sortiront à l’époque) et participa comme musicien de studio à plus de 50 autres sessions (ce qui mériterait une anecdote à part entière). En janvier 1961, Green sembla émerger pleinement avec « Grant’s First Stand », où il jouait aux côtés d’un autre nouveau venu sur la scène, l’organiste de Chicago Baby Face Willette.
Green Street (1961)
Moins de trois mois plus tard, « Green Street » sortait, Lion l’associant à talentueuse rythmique, Ben Tucker (basse) et Dave Bailey (batterie). Tous deux apportent un soutien souple et épuré au jeu de Green, offrant de longues lignes legato fluides mêlant blues de roadhouse et swing western, tout en faisant des clins d’œil au bebop et au gospel. La reprise par Green du classique « Round Midnight » de Thelonious Monk est aussi délicieusement lente que du sirop d’érable en janvier.

GRANT GREEN Green Street
Available to purchase from our US store.Nigeria (1962/1980)
L’emploi du temps chargé de Green a donné lieu à de nombreux dialogues musicaux avec certains des plus grands talents de Blue Note, des organistes talentueux comme Willette et Larry Young aux saxophonistes mentors Lou Donaldson et Stanley Turrentine, en passant par les pianistes Horace Parlan et Sonny Clark. Avec Clark, ils ont enregistré une série d’enregistrements inoubliables, malheureusement jamais publiés de leur vivant. Sur « Nigeria », enregistré le 13 janvier 1962, le piano de Clark fait parfaitement écho à Green, joyeux sur les tempos bop, langoureux et blues sur les ballades. Un an jour pour jour après cet enregistrement, Clark était mort d’une overdose.
Feelin’ the Spirit (1963)
Les excès de Green, tant professionnels que liés à la drogue, commençaient à épuiser ce provincial plongé dans l’effervescence de New York. Alors, lorsqu’il puise dans ses racines gospel sur « Feelin’ the Spirit », il ne se contente pas de puiser dans ses souvenirs d’enfance, mais s’appuie aussi sur la foi pour traverser ces moments difficiles. L’album met également en lumière l’oreille de Green, en faisant appel à un jeune Herbie Hancock, à peine cinq sessions d’enregistrement déjà bien remplies, dans ce qui allait devenir une carrière prestigieuse.
Idle Moments (1965)
Si vous deviez ne choisir qu’un seul album de Grant Green pour les non-initiés, ce serait celui-ci. Le pianiste Duke Pearson se souvient de « l’enchantement de son ingéniosité créatrice » qui procurait « une sensation de détente et de naturel absolus ». Dès ses premières secondes, calmes et invitantes, « Idle Moments » ne ressemble à aucun autre album de Grant Green. L’ambiance nocturne du morceau éponyme est impeccable, un sublime étalement de 15 minutes où les solos de Green, Pearson, Joe Henderson et du vibraphone Bobby Hutcherson se déploient et s’élèvent comme la fumée d’un cendrier. Son atmosphère soutenue est un merveilleux lieu de détente, l’un des sommets du jazz des années 1960, point final.

GRANT GREEN Idle Moments
Available to purchase from our US store.Mais au milieu des années 1960, le jazz évoluait rapidement et Green restait à l’écoute de ce qui se passait dans la rue. Sur la route, il jouait avant tout comme un artiste, capable de capter tout ce qui sortait des transistors du pays. (On raconte qu’en tournée, il était capable de riffer sur n’importe quel disque qui tournait dans le jukebox comme sur un 45 tours.) Il n’était pas le premier membre de Blue Note à être touché par la Beatlemania, mais « I Want to Hold Your Hand » montre Green comme un populiste, capable de livrer des interprétations légères de « Corcovado », des reprises onctueuses de Cole Porter, et même une lecture soul des Beatles. Avoir Larry Young et Elvin Jones dans sa section rythmique rend tout plus fluide.

Grant Green I Want To Hold Your Hand
Available to purchase from our US store.À la fin de cette décennie, l’influence du jazz continuait de décliner, Motown et James Brown régnant en maîtres sur les ondes et dans l’imaginaire populaire. Mais Green était là, capable de changer de registre avec aisance et de se montrer funky et rudimentaire. « Green is Beautiful » des années 1970 en est un parfait exemple. Pour certains puristes du jazz, c’était une trahison, mais Green faisait simplement ce qu’il avait toujours fait : interpréter des morceaux que les gens connaissaient au plus profond d’eux-mêmes, les interpréter de manière à les faire vibrer. Ce qui se traduit par des interprétations hypnotiques de « Ain’t It Funky Now » de James Brown et une nouvelle interprétation alléchante du répertoire des Beatles, cette fois en retrouvant le cœur soul de « A Day in the Life ».
« Visions », paru en 1971, marquera l’un de ses derniers concerts sur Blue Note. Green y écoute la musique pop du moment. Sur un rythme soutenu et précis, signé Idris Muhammed, il s’inspire des Carpenters. « We’ve Only Just Begun », « Never Can Say Goodbye » des Jackson 5 et « Does Anybody Really Know What Time It Is ? » de Chicago. Mais au cas où vous penseriez que Green a perdu la main, il nous livre ensuite une lecture grasse de la « Symphonie n° 40 en sol mineur » de Mozart.
Green quitta Blue Note l’année suivante et, pendant les dernières années de sa vie, il lutta contre la dépendance et une santé défaillante, mourant d’un arrêt cardiaque au début de 1979. Mais comme les générations récentes l’ont découvert, sa touche indélébile à la guitare ajoutait une teinte verte vibrante à chaque date de Blue Note.
Andy Beta est l’auteur du prochain livre « Cosmic Music: The Life, Art, and Transcendence of Alice Coltrane ». Il vit à New York.
Image d’en-tête : Grant Green, photo de Francis Wolff, avec l’aimable autorisation de Blue Note Records