À l’été 1965, le pianiste/compositeur et légende de Blue Note Horace Silver était en possession de l’un des petits groupes de jazz les plus populaires aux côtés de ceux de Dave Brubeck, Art Blakey, Thelonious Monk, Dizzy Gillespie, John Coltrane, Stan Getz et quelques autres.
Il savourait également le succès critique et commercial de l’album « Song For My Father », dont la chanson-titre avait succédé à « Watermelon Man » d’Herbie Hancock et à « The Sidewinder » de Lee Morgan, un succès de jukebox. Mais août 1965 vit également Silver partir en tournée avec l’un de ses groupes les plus jeunes, les plus polyvalents et les plus virtuoses : Woody Shaw à la trompette, Joe Henderson au saxophone ténor, Teddy Smith à la basse et Roger Humphries à la batterie.
Joe Henderson était bien sûr un pilier du groupe de Horace Silver il était apparu sur « Song For My Father », tandis que Woody Shaw était un débutant de 21 ans avec une réputation de plus en plus féroce qui avait grandi aux côtés de son ami et mentor Eric Dolphy, et qui allait bientôt enregistrer avec Silver sur « The Cape Verdean Blues ».
Les 12 et 19 août 1965, le groupe de Silver a joué au Penthouse à Seattle, au rez-de-chaussée de l’hôtel Kenneth, qui a ouvert ses portes en 1962. Un enregistrement récemment découvert de ces performances fait l’objet maintenant d’une sortie pour la toute première fois avec « Silver In Seattle: Live At The Penthouse », transféré à partir de bandes originales enregistrées par l’animateur radio et ingénieur de KING-FM Jim Wilke et produit pour la sortie par Zev Feldman (le livret d’accompagnement contient également des photos rares de Francis Wolff et des notes de pochette de Bob Blumenthal).
Ce superbe disque regorge de richesses, à la qualité sonore exceptionnelle. Sur « The Kicker », le morceau d’ouverture, la précision des riffs saccadés de Silver et Humphries est presque criminelle. Shaw n’hésite pas à introduire des notes « hors jeu » et à jouer des motifs de « cache-cache » lors de son excellent solo. Henderson repousse lui aussi les limites, tant mélodiquement que rythmiquement, tandis que Silver balance des bombes de la main gauche tout au long de son morceau, rappelant presque l’un de ses héros pianistiques, Thelonious Monk. Écoutez également les figures saisissantes de triolets du batteur Humphries entre la caisse claire, les toms et la grosse caisse, qui ont apparemment grandement influencé la future légende de la batterie, Steve Gadd.
« Song For My Father » est remarquablement fidèle à la version studio, et peut-être même plus essentielle. Humphries offre un écrin luxueux aux solistes avec son groove minimaliste et décalé, et Henderson semble s’amuser énormément avec sa vaste palette mélodique et même avec quelques modes aux sonorités orientales lors du breakdown.
Le public du Penthouse a ensuite eu droit à un aperçu du prochain album de Silver sur Blue Note, avec son titre accrocheur, « The Cape Verdean Blues ». L’album est magnifiquement mené, avec la batterie complexe de Humphries, façon calypso, qui présente de subtiles variations entre les différentes sections. Les courts solos de Henderson et Silver sont captivants et directs.
Shaw brille sur l’épique « Sayonara Blues » de 18 minutes, extrait de l’album « The Tokyo Blues » de 1962, avec des passages d’une rapidité saisissante et une vaste étendue mélodique, rappelant les meilleurs morceaux de Freddie Hubbard. Dans le livret, Humphries salue le trompettiste : « Quand Woody jouait, on s’amusait tellement ensemble. » On l’entend sur ce morceau. L’entraînant « No Smokin’ » conclut un excellent opus, extrait de l’album « The Stylings Of Silver » de 1957, mettant en valeur la belle prestation de Silver aux cuivres et offrant une prestation typiquement virtuose d’Humphries vers la fin.
Un mois après la prestation de Silver, le 30 septembre 1965, John Coltrane donna également un concert célèbre au Penthouse. Malheureusement, le club ferma ses portes en 1968 et devint un parking, mais nous avons au moins cette superbe collection de Silver pour nous en souvenir. « Live At The Penthouse » est un incontournable pour les fans de Silver, car il n’a sorti qu’un seul album live officiel – « Doin’ The Thing » en 1961 – de son vivant. C’est un hommage précieux à la brillante carrière de Blue Note. Comme l’écrit Don Was dans le livret : « Il n’est pas exagéré de dire que Blue Note n’existerait pas aujourd’hui sans l’approche percutante d’Horace Silver en matière de jeu, d’écriture et de groove. »

HORACE SILVER Silver in Seatlle: Live at the Penthouse
Available to purchase from our US store.Matt Phillips est un écrivain et musicien londonien dont les œuvres ont été publiées dans Jazzwise, Classic Pop, Record Collector et The Oldie. Il est l’auteur de « John McLaughlin : From Miles & Mahavishnu to the 4th Dimension » et de « Level 42 : Every Album, Every Song ».
Image d’en-tête : Horace Silver. Photo : avec l’aimable autorisation de Blue Note Records.