Sorti fin 1975, « Montara » de Bobby Hutcherson rejoint une liste incroyable d’albums avant-gardistes pour Blue Note cette année-là, notamment « Spaces and Places » de Donald Byrd, « Fancy Dancer » de Bobbi Humphrey, « Cheshire Cat » de Ronnie Foster, « Sunburst » d’Eddie Henderson et « Peregrinations » de Chico Hamilton.
« Montara » fut le premier album Blue Note produit par Dale Oehler, qui avait auparavant travaillé comme arrangeur sur « Trouble Man » de Marvin Gaye avant de se lancer dans le jazz en tant que chef d’orchestre et arrangeur sur l’album « High Energy » de Freddie Hubbard en 1974. Ce fut l’un des quatre albums de Hutcherson produits par Oehler pour Blue Note, aux côtés de ceux de Marlena Shaw et du musicien brésilien Moacir Santos. Mais la direction prise par Hutcherson sur « Montara » est en grande partie due à son producteur exécutif, George Butler, qui est remercié tout particulièrement au dos de l’album pour les « idées créatives qui ont inspiré l’album ».
Arrivé chez Blue Note en 1971, Butler avait orienté l’entreprise vers le jazz-funk et la fusion grâce à des albums marquants enregistrés avec les Mizell Brothers, dont « Black Byrd » de Donald Byrd et « Blacks and Blues » de Bobbi Humphrey. Ces albums, ainsi que ceux de 1975 mentionnés précédemment, sur lesquels Butler avait travaillé en tant que producteur exécutif, ont propulsé Blue Note vers une musique qui s’adresse autant aux pieds qu’à la tête. « Montara » les a rejoints et s’est imposé comme l’un des grands disques de latin jazz du milieu des années 1970.
Après ses albums post-bop, modal et avant-gardistes des années 1960, Bobby Hutcherson entame les années 1970 en force avec « Now », un album de jazz psychédélique à forte connotation politique. Enregistré avec le saxophoniste Harold Land, il suit, tout comme « San Francisco », un album fusion. Du jazz modal de « Cirrus » (1971) au jazz-funk de « Natural Illusions » (1973), Hutcherson continue de jongler entre les styles tout en enrichissant le langage du vibraphone dans le jazz. Mais il lui reste encore à explorer pleinement ses influences latines.
Enregistré du 12 au 14 août 1975 au Record Plant, dans sa ville natale de Los Angeles, « Montara » a vu Hutcherson alterner entre le vibraphone et le marimba, comme il le faisait périodiquement depuis « Dialogue » en 1965. Pour les sessions, il a fait appel à des musiciens de renom de la scène de Los Angeles, dont le trompettiste Blue Mitchell, le pianiste électrique Larry Nash, le bassiste Chuck Domanico, le saxophoniste/flûtiste Ernie Watts, le batteur Harvey Mason et une sérieuse section de percussions composée de Willie Bobo, Bobby Matos, Ralph MacDonald et Victor Pantoja.
Stefon Harris, son collègue vibraphone chez Blue Note, a qualifié Hutcherson de « de loin la personne la plus avancée harmoniquement à avoir jamais joué du vibraphone ». L’invention et la fluidité qu’Hutcherson avait déjà apportées au post-bop et au jazz modal étaient pleinement visibles sur son album aux influences latines les plus prononcées.
L’album s’ouvre sur l’envoûtante et hypnotique « Camel Rise », composée par le pianiste George Gables et enregistrée pour la première fois par Freddie Hubbard sur son album jazz-funk/fusion de 1974, « High Energy ». Elle est suivie d’une composition tout aussi atmosphérique de Hutcherson, le morceau-titre « Montara ». Versionnée par Madlib sur son album « Shades of Blue » de 2003, elle met en scène Hutcherson dans une magnifique mélodie, sur des vibraphones et du marimba, sublimés par le rhodes tourbillonnant de Larry Nash.
Cette ouverture douce est sublimée par « (Se Acabo) La Malanga », un morceau de latin jazz explosif composé par le percussionniste cubain Rudy Calzado pour Eddie Palmieri, récemment disparu, sur son album « Superimposition » de 1975 chez Fania Records. Soutenu par ses sections de cuivres et de percussions sérieuses, Hutcherson livre l’un de ses solos les plus lourds. Le méditatif « Little Angel », composé par le pianiste colombien Edy Martínez pour Mongo Santamaria sur son album « Up From The Roots » de 1972, vient calmer le jeu.
Vient ensuite l’autre composition de Hutcherson, « Yuyo », un morceau de latin jazz très heavy qui aurait pu sortir du catalogue de Fania Records. L’album se termine par une reprise de « Oye Como Va » de Tito Puente, rendue célèbre par Santana, mais Hutcherson peut sans aucun doute prétendre à la meilleure reprise de tous les temps.

BOBBY HUTCHERSON Montara
Available to purchase from our US store.“Montara” est en quelque sorte un album oublié de Bobby Hutcherson dont la réédition dans la collection Tone Poet est bienvenue surtout lorsque l’on regarde les prix des pressages originaux sur Discogs.
Andy Thomas est un écrivain londonien qui contribue régulièrement à Straight No Chaser, Wax Poetics, We Jazz, Red Bull Music Academy et Bandcamp Daily. Il a également écrit des notes de pochette pour Strut, Soul Jazz et Brownswood Recordings.
Image d’en-tête : Bobby Hutcherson. Photo : Francis Wolff / Blue Note Records.